Le fleuve Sepik et ses hommes-crocodiles
Le fleuve
Le fleuve Sepik est l’un des trois principaux fleuves de l’État de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il s’écoule sur plus de mille kilomètres, tout d’abord d’est en ouest jusqu’à la frontière avec la province indonésienne de Papouasie de l’Ouest, puis d’ouest en est, pour se jeter enfin dans la mer de Bismarck.
Diverses sociétés constituées de quelques villages s’égrènent tout au long du Sepik, chacune d’entre elles possédant sa propre langue et ses propres coutumes. Leur rapport commun au fleuve, constitue une une véritable civilisation fluviale.
Les mythes du crocodile
De nombreux mythes évoquent le crocodile comme le maître des eaux primordiales et le créateur des premières terres immergées. Cette divinité aurait été un être double qui, en se retournant dans la vase, aurait fait émerger à l’aide de sa queue les premières terres. Elle reste, aujourd’hui encore, la base de l’organisation sociale des villages iatmul, formée de deux moitiés : les Nyawinemba, les « gens du lever du soleil » (nyawi), et les Nyamenemba, les « gens de la terre-mère » (nyame).
Chaque clan revendique pour ancêtres une paire de crocodiles, et l’ensemble de ces paires est considéré comme une émanation de la divinité. Ces paires de crocodiles, appelées wagan sont associées aux dangereux tourbillons présents à certains endroits du fleuve.
Les hommes crocodiles
Manifestation très intense des croyances envers les esprits crocodiles, l’initiation masculine dans la société iatmul est un rite fondateur. Elle tisse un lien profond entre l’initié et le crocodile.
Certains villages continuent de pratiquer des initiations masculines, qui constituent le fondement de la culture locale ; cela justifie l’appellation souvent donnée à la vallée du Sepik : « le pays des hommes-crocodiles ». Ces initiations sont organisées lorsqu’il y a assez de jeunes gens en âge d’y accéder. La cérémonie commence par une procession à travers le village d’une vingtaine d’hommes marchant en file indienne et symbolisant le crocodile ancestral, de la tête à sa queue. Cette procession entre puis sort de la maison cérémonielle par une porte, construite spécialement pour cette occasion, et représentant la gueule de l’animal. Les novices, considérés par les anciens initiés à l’égal de femmes, sont vus alors comme pénétrant dans le ventre d’une mère crocodile pour en sortir en hommes accomplis. Leur initiation est perçue comme une seconde naissance. Ils sont allongés sur de petites pirogues retournées dont les proues sont sculptées de têtes de crocodiles. Leur dos et leurs cuisses, puis leur poitrine et leurs bras sont, à l’aide d’une lame de rasoir, scarifiés de motifs propres à chaque clan. Durant ces opérations, des hommes font tournoyer des rhombes (instrument à vent) qui produisent une vibration très particulière. Les novices ne doivent pas laisser paraître leur douleur. Un de leurs oncles maternels reste auprès d’eux pour les encourager et les soutenir.
Après divers traitements à base de plantes médicinales, ces scarifications laissent des cicatrices très visibles, métamorphosant l’initié en homme-crocodile : il a été vidé de son excès de sang maternel. Ces marques sont présentées aux non-initiés comme les traces laissées par les dents du crocodile ancestral qui a dévoré les novices. En attendant la cicatrisation de leurs scarifications, les nouveaux initiés reçoivent, au sein de l’enclos initiatique, une éducation à la fois intellectuelle et manuelle. Durant plusieurs semaines (autrefois plusieurs mois), les anciens du village leur transmettent les règles à respecter et les bons comportements à adopter avec leurs proches. Les mythes secrets de leur clan leur sont révélés et ils apprennent à fabriquer divers objets rituels. À cette occasion, les grands tambours à fente – figurant les ancêtres crocodiles – résonnent régulièrement dans la maison cérémonielle, accompagnés par les sons feutrés des longues flûtes de bambou.
Les jeunes filles qui le souhaitent peuvent aussi être initiées, mais dans un espace différent des garçons, et la durée de la cérémonie est moins longue. Si la pratique de l’initiation a disparu dans de nombreux villages à la suite de la christianisation de la population au milieu du 20e siècle, elle se maintient dans quelques lieux encore. Les initiés sont fiers de montrer en ville leurs scarifications qui les différencient des autres hommes de Nouvelle-Guinée et les identifient immédiatement comme des « hommes-crocodiles », dignes et courageux. C’est également un atout pour plaire aux jeunes femmes et se trouver une épouse.