Le métier de chargée des productions éditoriales
Pourrais-tu nous parler de la ligne éditoriale de la collection qui vous anime et vous oriente vers un auteur plutôt qu’un autre ?
Pour choisir les auteurs que nous souhaitons inviter à écrire pour « Récits d’objets », nous échangeons avec l’équipe du musée et notre coéditeur sur nos lectures, nos envies, nos rencontres. Notre ligne éditoriale pour cette collection est guidée par une recherche de qualité et exigence littéraire et l’envie d’offrir à nos lecteurs une nouvelle approche des objets du musée, les voir sous un prisme différent, à travers l’imaginaire d’un auteur.
Lors de la création de la collection « Récits d’objets », en 2013-2014 avant l’ouverture au public du musée, ce sont quatre auteurs qui se sont lancés dans l’aventure avec nous. Philippe Forest (Fragment de mâchoire d’enfant Homo sapiens), Emmanuelle Pagano (Châle de soie de mer), Jean-Bernard Pouy (Téléphone S63) et Valérie Rouzeau (Météorite Allende). En 2016, nous avons fait appel à Marc Villard (Sac Ojibwa) et Régine Detambel (Ammonite irisée). Il y a également eu un projet un peu différent basé sur la photographie de nos réserves avec Bernard Plossu. Et en 2018, c’est Olivia Rosenthal (Momies de chats) qui a clôt un premier cycle de la collection.
Jusqu’en 2018, nous avons principalement invité des écrivains français mais aujourd’hui nous cherchons aussi à nous ouvrir à des auteurs de langues ou de nationalités étrangères, à de nouveaux univers. Comme la diversité et la transdisciplinarité qui imprègnent les collections du musée des Confluences, nous voulons proposer une multiplicité de regards, d’écritures, de styles.
La rencontre entre l’écrivain et les collections du musée relève de l’intime, peux-tu nous raconter comment se déroule cette première visite ?
Nous invitons les auteurs à venir à notre rencontre, nous visitons ensemble le musée, échangeons. C’est aussi cette rencontre et l’alchimie qui se crée à ce moment-là entre l’auteur et les collections du musée, mais aussi la relation humaine qui se tisse, qui entraîne ou non la création d’un nouveau récit. Les écrivains sont libres de choisir l’objet qui leur plaît, les inspire, avec peut-être pour seule contrainte que celui-ci soit dans le parcours permanent et donc visible pour les visiteurs. La forme du récit est libre, cela peut être du polar, de l’autofiction, de la poésie, du conte, de la fiction… Ainsi, chaque visite est différente et apporte un écho particulier en fonction des personnes présentes. On s’attarde plus ou moins sur certaines thématiques, certains objets, ces choix sont guidés par les appétences des auteurs et la relation qui se crée entre nous. Lors de la venue de Simonetta Greggio, en octobre 2019, je me souviens que nous parcourions Espèces, la maille du vivant et nous nous sommes arrêtées devant le plateau des œuvres inuit. La statue de L’ours dansant II de Davie Atchealak avait attiré l’œil de Simonetta Greggio. Je lui ai donc parlé du système de croyances ancestrales des Inuit, de leur culture animiste et des liens spirituels qu’ils entretiennent avec le monde du vivant et notamment animal. L’ours est une figure importante de l’imaginaire inuit et représenter cet animal dans une position insolite, un comportement humain, symbolise d’une certaine manière l’esprit de l’animal dans son rôle d’intercesseur entre le monde des esprits et celui des humains. De plus, on raconte également que chez les Inuits, les femmes trahies prennent les traits d’un ours. À ce moment-là, il s’est passé quelque chose et Simonetta Greggio semblait avoir trouvé l’objet qui lui parlait, l’inspirait, le récit était en train de se former. Le lendemain, je recevais un premier synopsis du récit qu’elle voulait conter.
Avec Ananda Devi, nous avions commencé notre parcours de visite par Éternités, visions de l’au-delà car nous savions que c’était une thématique qui l’intéressait particulièrement. Et, d’une certaine manière, nous voulions aussi orienter un peu le choix ou du moins susciter davantage l’intérêt vers l’un des objets de cette exposition qui n’avait pas encore été choisie comme sujet de récit. Ananda Devi s’est montré très intéressée et touchée par cette exposition mais n’a rien laissé paraître. Nous avons poursuivi la visite dans les autres salles, discuté du bâtiment, de la baleine. Et quelques jours plus tard, elle m’a recontacté pour me dire qu’elle parlerait de la momie Yschma et de la tombe féminine de Koban, elle souhaitait avoir plus de documentation sur ces deux tombes funéraires. J’ai alors envoyé la documentation, les dossiers de fouilles et les photos que nous avions. Ananda Devi était particulièrement intriguée par la chevelure de la momie, sa permanence sur un corps momifié et vieux de plusieurs milliers d’années.
Une fois la visite réalisée, peux-tu nous parler des différentes étapes qui se succèdent jusqu’à l’impression de l’ouvrage ?
Après la visite du musée, il faut attendre ! Parfois, l’auteur nous envoie un synopsis ou nous interroge plus précisément sur un objet, nous donnant quelques pistes sur le récit à venir, mais souvent il reste discret et il faut attendre l’envoi de la première version. La réception du texte est un véritable cadeau car on est impatient de découvrir la manière dont l’auteur s’est saisi de l’objet, ce qu’il a imaginé, comment il va nous transporter dans son univers. Nous lisons le texte avec beaucoup d’attention, la première fois la place est à l’émotion et ensuite il s’agit de relire plusieurs fois pour comprendre, discuter avec l’auteur, échanger sur nos ressentis de lecteur. Le texte change un peu, s’embellit jusqu’à la version finale qui sera imprimée et partagée avec le public. C’est un travail très enrichissant, une expérience humaine, une confrontation entre l’imaginaire d’un auteur et un discours scientifique, une nouvelle histoire qui s’écrit.