Houria Aïchi : la voix des montagnes berbères
Houria Aïchi, une vie à chanter
C’est aux portes du désert du Sahara, au cœur des montagnes berbères, que les premières notes se font entendre. Dans sa ville natale de Batna, la jeune Houria découvre les sonorités qui rythmeront son œuvre, celles des femmes qui se réunissent dans les cours des maisons pour chanter ensemble. Ces mélodies la suivent lorsqu’elle se rend à Constantine, puis à Alger et enfin à Paris pour poursuivre sa formation universitaire.
Elle chante pour ses proches, pour son plaisir, jusqu’à ce qu’un ami lui propose de monter sur scène lors d’un festival. Sur un coup de tête, l’étudiante en sociologie à la Sorbonne accepte et fait découvrir au Paris des années 80 les chants de l’Aurès. Une évidence s’impose à elle, elle doit chanter ce qu’elle connaît le mieux : le répertoire de son enfance.
Une histoire de femmes et de transmission
Véritable artiste anthropologue, Houria Aïchi retourne au cœur des paysages qui l’ont vue naître pour collecter ce patrimoine musical en voie de disparition. Issue d’une famille de femmes bardes, la grand-mère et les tantes d’Houria se rendaient dans les villages au gré des célébrations pour faire résonner dans les montagnes les notes de cette poésie populaire. Houria redécouvre l’importance et la puissance de ces chants au sein de la société traditionnelle et paysanne de son enfance.
Les femmes vivent en collectif, dans des espaces clos. Chanter leur permet de se réunir dans une cour partagée et d’exprimer librement leurs histoires intimes et collectives. Houria s’immisce dans ces moments traditionnels de convivialité, observe l’entraide et la solidarité. Ensemble, elles discutent des sujets qui les touchent, préparent du thé et du café puis se mettent à chanter pendant des heures, jusqu’au retour des hommes. Houria enregistre les chants auxquels elle participe, rentre à Paris travailler sur ce matériel et devient à son tour un maillon de cette chaîne de transmission.
Après l’Aurès, Houria se met à la recherche des chants d’autres régions d’Algérie et explore d’autres thématiques, des chants mystiques aux chants militaires. Elle collecte des chansons sans âge et fait vibrer les voix des ancêtres : son travail fascine autant par sa musicalité que pour l’émotion qu’il suscite. Sur scène, Houria chante d’une voix puissante, capable de couvrir plusieurs octaves, parfois accompagnée d’une gasbâ, d’un bendir, d’un oud ou d’une flûte. Pour des générations d’Algériens, l’écouter, c’est entendre résonner les fredonnements de ses grands-mères.
Les chants chaouis, un patrimoine
À l'origine, la musique chaoui était chantée par les bergers et les femmes bardes de l’Aurès. Les thématiques sont diverses, les berbères chantent le quotidien des fellahs, comme ils chantent l’amour, la condition des femmes, les révoltes politiques, la liberté ou l’insoumission... Parmi la richesse de son répertoire, Houria fait la part belle aux chants courtois qui ont la singularité d’être explicites.
L’idéalisation d’une femme éthérée laisse place à l’évocation franche du plaisir charnel. Si l’on peut entendre la déploration du deuil amoureux, ces chants sont ceux du bonheur, de la joie, de l’érotisme. Les chants chaouis ont la particularité d’avoir une musique tonique et d’être construits sur la variation de trois notes. Si la tradition veut que ces chants se transmettent de mère en fille, Houria est depuis bientôt quarante ans une passeuse passionnée d’un patrimoine plus que jamais vivant.